Prestation web : Compte-rendu d’une rencontre avec un prospect

J’avoue que l’attitude de certains chefs de très petites entreprises (TPE) m’échappe. Or, il s’agit de l’essentiel de ma clientèle à qui j’ai choisi jusqu’à présent, avec ma société, de proposer des services sur mesure, plutôt que des services génériques. Heureusement, tous ne sont pas aussi irrationnels, farfelus et étonnants que le cas que je vous propose de découvrir ici !

Contexte

C’est le gérant d’une TPE qui a fait marcher son réseau professionnel qui lui a recommandé de me contacter.

Mon prospect est une société proposant un service de rencontres de niche. La société emploie exclusivement son gérant et faisait près de 90.000 € HT de chiffre d’affaires en 2006, dont 50 % sur Internet via son site web que le gérant a fait lui-même dès 2000. Voyant le succès de son site, le gérant décide en 2007 de faire appel à un prestataire externe pour la réalisation d’un nouveau site qu’il espère encore plus profitable.

Le gérant avait demandé un devis à une demi-douzaine de prestataires. La moitié lui ayant présenté un devis farfelu (vous vous imaginez faire un site de rencontres pour 1.000 € HT ?), il a finalement opté pour le plus cher d’entre eux qui lui a proposé un devis à 6.000 € HT, un hébergement de 150 € HT par mois et une prestation de référencement. Le site est composé de :

  • un design moche (mais est-ce un problème ?) sans rapport avec l’activité du site (là, en revanche…) ;
  • une page d’accueil statique (absolument non éditable, par aucun moyen) ;
  • huit pages statiques au contenu texte (et exclusivement texte) éditable ;
  • une base de données de membres (éditable manuellement et livrée vide) dont l’accès est réservée aux membres inscrits payants ;
  • un moyen de paiement en ligne spécifique à la banque du client.

Problème

Pourtant, le gérant n’est pas satisfait de la prestation, et cela pour plusieurs raisons :

  • le site a nécessité six mois de développement avant sa mise en ligne ;
  • le prestataire a fait payer l’hébergement durant toute la phase de développement (alors que le site était en chantier et ne générait pas de chiffre d’affaires) ;
  • le coût de l’hébergement semble excessif.

De plus :

  • mon prospect s’indigne avoir dû dépenser 800 € HT de plus pour la rédaction des CGU du site par un avocat recommandé par son prestataire ;
  • le prestataire réclame 1.500 € HT pour l’intégration des 2.500 fiches des membres à la base de données du site (manuellement, la saisie de chaque fiche prend au moins 5 minutes, selon mon prospect).

Mais le plus grave, depuis la mise en place du nouveau site :

  • le site a disparu des moteurs de recherche ;
  • le site a perdu 50 % de son chiffre d’affaires.

Enfin, mon prospect ayant décidé de quitter ce prestataire, il relit le contrat de la prestation pour découvrir que :

  • il n’est pas propriétaire du site, c’est le prestataire qui l’est, autant sur la partie artistique que technique ;
  • il n’a aucun accès permettant de récupérer ou de sauvegarder le site (pas de FTP, pas d’accès à la BDD, rien, nada) ;
  • il n’a aucun moyen de faire appel à un autre prestataire pour l’hébergement ou la maintenance du site.

Par conséquent, ce prospect me demande mon avis.

Avis

En soi, le montant de la prestation ne me choque pas, car même si le site ne semble pas avoir été mis en place par des lumières, il a l’avantage de fonctionner, et j’avoue que sans accès à l’interface d’administration ou à la partie membre, méconnaissant par ailleurs les spécificités de la solution bancaire retenue, je ne peux juger des parties les plus sensibles du site. Éventuellement, on pourrait noter que le prix de l’hébergement semble excessif, mais ignorant le détail de l’offre, je préfère ne pas m’exprimer plus en détail.

En revanche, à ce prix, en principe, le prestataire doit laisser le client libre de choisir son prestataire d’hébergement, et surtout concéder une licence d’utilisation du site lui permettant de l’exploiter ailleurs, et pourquoi pas le maintenir par un tiers, dans une certaine mesure du moins, d’autant que le site semble avoir effectivement été fait sur mesure et ne repose sur aucun travail de recherche et développement susceptible de devoir être amorti sur plusieurs clients. Manifestement, le prestataire a tout fait pour capturer son client à vie avec lui, s’assurant une manne régulière à moindres frais réels.

Concernant la perte de son référencement, les causes sont multiples et liées à plusieurs bourdes et incompétences dans ce domaine de la part de son nouveau prestataire. Celui-ci a décidé unilatéralement de changer le nom de domaine du site en installant une redirection incompatible avec le transfert du référencement de l’ancien site. L’ancien site ayant disparu, le nouveau n’ayant ni référencement, ni ancienneté, le nouveau site étant par ailleurs bêtement bourré de mots-clés hors contexte à toutes les pages à la limite du spam (et cela qui plus est dans la partie non éditable des pages), il est logique que le nouveau site n’apparaisse pas dans les résultats de recherche sur les mots-clés convoités.

Quant à la prestation de référencement proposée, elle est tout ce qu’il y a de plus inutile, en l’occurrence il s’agit pour le prestataire de référencer le site auprès des principaux moteurs de recherche manuellement. En somme, une prestation aussi inutile qu’invérifiable, mais que tous les prestataires web utilisent comme argument commercial ultime qui fait mouche auprès du public non averti.

Par ailleurs, le contenu des diverses balises meta et autres optimisations spécifiques au contenu du site sont à la limite du spam et du mauvais côté de la limite des recommandations des moteurs de recherche en matière de référencement.

Cependant, le contrat a été signé a priori en toute connaissance de cause et sinon que la qualité de l’ensemble laisse à désirer, le peu que j’en ai vu ne permet pas de contester la prestation fournie, les divers défauts étant sujets à discussion.

Solutions

Nouveau site

Mon prospect m’explique qu’il n’a pas de quoi investir dans un nouveau site.

En effet, lors de nos divers échanges, mon prospect m’annonce avoir contracté un emprunt pour la réalisation du site et de l’avoir intégré dans la comptabilité comme un investissement amorti sur plusieurs années. Pour ma part, c’est bien la toute première fois que j’entends parler de l’amortissement d’un service informatique, car on ne peut même pas parler ici de l’amortissement d’un logiciel (les logiciels étant en principe amortis sur 12 mois), mon prospect n’ayant pas acquis de logiciel, ni de licence logicielle de son site.

Néanmoins, bien qu’il n’ait pas de quoi faire faire un nouveau site, il me confie qu’il a tout de même demandé à une demi-douzaine de prestataires de lui fournir un devis concernant la réalisation d’une nouvelle mouture de son site, nécessairement faite à partir de zéro. Je lui annonce alors un tarif qui me paraît raisonnable pour la réalisation du site dont il a besoin, mais celui-ci lui paraît trop important, préférant m’annoncer que mes concurrents lui proposent la réalisation du site pour la moitié de mon tarif. Soit.

Amélioration du référencement

En parallèle, mon prospect explore les prestations de référencement du site sur les moteurs de recherche.

Mon prospect réclame le positionnement de son site sur une douzaine de mots-clés qu’il a lui-même sélectionnés. Une partie de la liste ne génère pas de recherches, et n’a pas conséquent aucun intérêt commercial, alors qu’une autre est particulièrement concurrentielle et est polluée par des sites satellites par dizaines, composés de centaines ou de milliers de pages satellites chacun, rendant le référencement des seules neuf pages du site du prospect particulièrement difficile dans des délais raisonnables et à un tarif attractif. D’ailleurs, même en proposant une liste de mots-clés plus optimisée, ce prospect m’annonce ne pas avoir le budget pour, du moins pas aux tarifs que je lui propose.

Car il faut dire que nous ne parlons pas le même langage. En tant que prestataire web, je peux lui fournir des outils pour améliorer son positionnement Google, mais pas l’argument commercial concernant son business, et encore moins lui garantir son chiffre d’affaires. En tant que prestataire web, je parle de visites, de pages vues, de visiteurs uniques, ou encore de la position dans les résultats des moteurs de recherche. Mais alors que mon prospect affirme s’y connaître en Internet, ayant tout de même créé son site dès 2000, il s’avère qu’il n’a aucune idée de ce qu’est une visite, du trafic passé ou présent de son site, ni de la source des visites de son site, encore moins de la liste des mots-clés qui le faisaient vivre.

En revanche, ce prospect m’annonce que l’un de mes concurrents avait estimé une expressions de sa liste à « plusieurs millions de requêtes » sur les moteurs de recherche. Pour une requête composée de trois mots, plutôt rares, j’exprime mon étonnement. « Oh, ça doit être dans le monde entier ! » essaye de me convaincre le prospect, tout à fait convaincu de la pertinence des propos de mon concurrent. « Ah ? Vous croyez réellement qu’aux Etats-Unis, on formule les requêtes en français ? » L’absurdité de l’affirmation gratuite et erronée de mon concurrent semble lui avoir échappé, d’autant que mon prospect recherche une clientèle nationale, voire régionale. Mon prospect insiste : « J’étais en sixième page sur Google sur ce mot-clé et ça me suffisait. » A une telle position, sur ce mot-clé là, le site ne devait pas recevoir plus de 100 visites par an.

Publicité et affiliation

Depuis qu’il a perdu 50 % de son chiffre d’affaires Internet, mon prospect m’annonce que pour se rattraper, il publie des publicités dans la presse papier.

Aussi, je lui propose un retour sur investissement plus immédiat que le référencement naturel et mieux encadré que des publicités dans la presse sous la forme de l’achat d’espaces publicitaires sur les moteurs de recherche et sites spécialisés, sous la forme de publicités au CPC, CPM et d’affiliation. Mais le prospect me regarde avec des yeux étonnés : l’idée de payer sur Internet lui paraît totalement incongrue et absolument impensable.

Location de site

Puisque le prospect n’a ni les moyens pour faire un nouveau site (mais qu’il demande des devis dans ce sens), ni les moyens de faire du référencement (mais qu’il demande là encore des devis dans ce sens), ni la confiance dans la publicité en ligne (mais qu’il achète des espaces publicitaires dans la presse), j’en viens avec une idée originale : de lui louer un site à moi, adapté à ses besoins spécifiques, avec un trafic ciblé garanti.

L’idée est simple et consiste à louer un local avec un bail dans une rue marchande fréquentée, à ceci près que c’est un site web installé sur un nom de domaine correctement choisi et optimisé que je lui propose clés en main, et qu’au lieu de payer sa réalisation, il n’en paye que la location, très largement plus abordable, et je me charge de tout le reste, du référencement y compris. La location est soumise à la performance de ma part mesurée par des visites ciblées que je me dois de justifier. En somme, je me démène pour, d’une part, attirer des clients potentiels sur le site loué par mon prospect (par le référencement naturel, la publicité, etc.) et, d’autre part, justifier de ce trafic ciblé par des rapports détaillés fournis par un service de mesure d’audience tiers de confiance.

Je présente l’idée comme bon marché, sans risque, puisque mon prospect n’a pas à avancer l’argent, peut modifier le contenu du site (sous condition de ne pas saccager le site, comme dans une location banale, cela va sans dire), peut même conserver son site actuel, en renfort, et en cas de résiliation de la location, toute page créée par mon prospect est automatiquement redirigée vers le site de son choix ou la page de son choix, et de manière à transférer les efforts de référencement de ces pages au profit du site cible indiqué par le prospect.

C’est là que mon prospect a commencé à me regarder comme si j’étais le pire des escrocs. En fait, très méfiant, mon prospect voulait que je lui cède le site entier au bout d’un mois de location. Vous vous imaginez un tel accord sur un bail commercial ? Zou, au bout d’un mois de location, et sans rien de plus, le locataire devient propriétaire des lieux ? C’est là que j’ai commencé sérieusement à rechercher la caméra cachée susceptible de filmer notre entretien pour une émission de télévision quelconque…

Fin de l’entretien

A la fin de notre rencontre, mon prospect m’indique les décisions qu’il a pris les jours précédents :

  • il va fermer son nouveau site dans les deux jours pour économiser les 150 € HT par mois d’hébergement (et en conséquence perdre 3.750 € HT de CA par mois, trouvez l’erreur) ;
  • il espère que cela va faire plier son prestataire web pour lui permettre de s’en aller avec le site complet chez un concurrent (trouvez l’erreur) ;
  • il n’a pas de quoi payer un avocat, mais espère faire peur à son prestataire en le menaçant d’un procès par téléphone (trouvez l’erreur) ;
  • il a retenu six prestataires et me tiendra au courant de sa décision quant à la suite à donner à mes diverses propositions (qui, comme il me l’a annoncé, sont très largement au-dessus de ses moyens ou ne correspondent pas à ses attentes).

Conclusion

Notez bien que la plupart de mes clients ont une approche rationnelle du business, et par conséquent en parler ici n’aurait aucun intérêt.

En revanche, ce prospect-là est exceptionnel à plus d’un titre. Outre le fait de réclamer des devis en sachant pertinemment ne pas avoir de quoi les mettre en chantier, de tenter d’intimider son prestataire actuel sans aucun argument, sinon de sa propre faillite (la compassion serait-elle devenue un argument de négociation valable ?), de prendre des décisions suicidaires, je m’étonne qu’un chef d’entreprise puisse méconnaître à ce point Internet alors que celui-ci représente 50 % de ses revenus.

Deux mois plus tard, sans nouvelle de sa part, et ayant compris dès l’entretien que mes propositions ne correspondaient pas à ses moyens ou à ses attentes, je constate que le site de mon prospect reste inchangé, toujours en ligne, toujours aussi mal référencé. Comme le suggère l’un de mes associés, ce prospect se sera donc amusé en faisant défiler une demi-douzaine de prestataires pour se changer les idées, sans plus. C’est malheureusement assez fréquent dans le domaine du web où l’on demande des devis « pour voir », ou alors pour vérifier la pertinence des tarifs d’un prestataire web déjà choisi à l’avance, d’autant qu’il est rare que les devis soient facturés, alors qu’il s’agit parfois de cahiers de charges fort complets (les miens, en l’occurrence, font généralement entre 5 et 10 pages).

Cette prospection m’aura donc pris deux jours de préparation pour rien, sans parler des frais relatifs à la réalisation de maquettes de sites d’exemples et des fonctionnalités générales associées. Pour rien ? Pas si sûr. Car justement, du coup, je prépare deux sites sur cette thématique qui pourront fortement intéresser les concurrents de ce prospect. En fait, même sans faire appel aux concurrents directs, ces sites pourraient devenir tout à fait rentables, car le marché de la rencontre, même s’il n’est pas des plus lucratifs, est toujours en quête de nouveaux prospects. Ce qui est bien, avec le web, c’est que la plupart des idées, projets, sites et codes sources se recyclent très bien !

4 réflexions sur « Prestation web : Compte-rendu d’une rencontre avec un prospect »

  1. GuillaumeGuillaume

    C’est pas mal ta proposition de location du site. Tu pourrais proposer ça avec une partie variable sur le CA généré…
    Ca pourrait intéresser ceux qui veulent se lancer sans avoir trop de moyens.

  2. MartinMartin Auteur de l’article

    @Guillaume : « Mon » idée de location de site clé en mains est inspirée de celle d’un ami qui loue des noms de domaines après les avoir correctement référencés avec un contenu thématique générique. L’idée d’un site complet loué, site dont on peut modifier le contenu à loisir, voire de participer soi-même à son référencement, référencement qui sera nécessairement transmis à un autre site en cas de résiliation de la location, vise à intéresser ceux qui cherchent un investissement et une maintenance technique (mise à jour du CMS, etc.) et marketing (référencement naturel, publicité, etc.) réduits, ainsi qu’un investissement et un risque limités, pour s’intéresser essentiellement à leur métier. Cela peut intéresser les sociétés qui débutent, effectivement, mais aussi des clients qui veulent se lancer sur Internet sans historique préalable, ou encore élargir leur présence Internet à de nouveaux sites, avec une offre complémentaire, concurrente ou indépendante de leur offre existante.

    @Julien : En matière d’arnaque, j’ai déjà eu vent de bien pire. D’ailleurs, je pense y consacrer un article à l’avenir. Quoi qu’il en soit, dans le cas énoncé précédemment, le prestataire qui rend son client prisonnier de ses services alors qu’il n’apporte aucune contrepartie pouvant le justifier a une démarche qui n’est clairement pas celle que la déontologie recommande d’avoir.

  3. JulienJulien

    Autant ton mec est incompétent, autant son prestataire actuel est à la limite de l’escroquerie : propriété du site? chargement de la bdd « à la main »?…

    Et je pense que beaucoup de prestataire web sont de ce coté ci de la barrière (avec une grosse dominance pour les « référenceurs »!), et que plus ils sont nombreux, plus les clients sont incompétents, aveugles et réagissent de manière irrationelle, parce qu’ils ne comprennent pas grand chose… et qu’on prend bien soin de ne rien leur expliquer!

  4. EskimoEskimo

    Et ce genre de personne arrive à faire 3750 euros de CA avec aussi peu de connaissance , j’ai vraiment du mal à le croire !!!

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