Tracasserie administrative

Des euros par milliersL’immatriculation d’une société est facile, en France. Qu’on se le dise bien une bonne fois pour toutes : même un gamin de seize ans peut créer une entreprise, tant qu’il est émancipé. Tous ceux qui prétendent que créer une entreprise en France sont soit de mauvaise foi, soit mal renseignés.

Cela n’empêche pas certaines tracasseries administratives. Ainsi, je reviens à l’instant du Centre des Formalités des Entreprises (CFE) de la Chambre de Commerce et de l’Industrie (CCI), pour la deuxième fois, cette semaine. La fois précédente, une personne étant absente, malade, j’ai donc du rebrousser chemin. Rien de bien grave. Cela peut tout à fait arriver et il est habituel de ne pas prévoir à l’avance une telle éventualité. Et prévoir quoi donc ? Pour quel niveau d’absentéisme ou d’arrêts maladie ? Que se passerait-il en cas d’épidémie de grippe ? Non, vraiment, je n’ai rien à dire à ce sujet.

En revanche, là, je dois revenir avec une pièce d’identité. Cela supposerait que je sois arrivé sans. Etant de nationalité polonaise avec un titre de séjour sous forme de Carte de résident, et suivant la liste des documents fournis la semaine précédente par le même CFE, j’ai supposé que cela suffirait. La dame qui reçoit mon dossier m’explique que ce n’est pas à leur niveau que cela risque de coincer, qu’ils ne font qu’anticiper la réaction du Greffe du Tribunal de Commerce. Coup de fil au greffe, donc. Mon interlocutrice n’a pas tort : le greffe exige une carte d’identité. C’est bien gentil, mais seuls les individus de nationalité française ont une carte d’identité française. Etant ressortissant d’un pays de l’Union Européenne, une simple pièce d’identité suffit, en principe, pour justifier de… euh… mon identité.

D’ailleurs, ma carte de résident l’indique bien :

Motif du séjour :

TOUTE PROFESSION EN FRANCE METROPOLITAINE DANS LE CADRE DE LA LEGISLATION EN VIGUEUR 

et celle-ci a une validité territoriale totale jusqu’en 2013. Mon interlocutrice ne se démonte pas : oui, mais en fait, ma carte de résident n’est pas une pièce d’identité. Elle me sert juste à circuler. Euh… Pardon ?!

Bref, compter sur cette banale pièce d’identité délivrée par une prefecture française, ce serait mal compter sur l’excès de zèle du greffe : il me faut tout de même un extrait de naissance indiquant ma filiation. Filiation ? Oh, un simple papier « officiel » qui indique les noms et prénoms de mes parents. Le fait que j’ai fourni une déclaration de non condamnation, obligatoire, où j’indique le nom de ceux-ci n’y change rien. Il me faut tout de même un extrait de naissance. Evidemment, mon extrait de naissance, je dois aller le chercher à la mairie de mon lieu de naissance. Facile ! Vous imaginez bien que je vais prendre l’avion pour Varsovie, puis le traduire en français, et revenir à la CCI de Rennes dans la journée !

Un extrait de naissance, donc ? J’ai un deuxième choix : un passeport suffit. Mais voilà, je viens de vérifier : mon passeport (polonais, donc), n’indique aucune information de filiation. Aussi, j’ai besoin d’un passeport pour justifier de ma filiation, filiation qui est déjà justifiée dans un autre document obligatoire déjà fourni, et filiation qui n’est en rien renseignée sur le passeport, alors que cette filiation sert de prétexte pour exiger le passeport. Moi qui, naïf, croyais qu’un passeport ne servait qu’à circuler ?

Alors oui, je l’admets bien volontiers : en effet, la Pologne ne fait pas partie de la CEE, alors que tous ses documents que je remplis pour la création de ma société y font référence. Et pour une bonne raison : la CEE n’existe plus, et cela fait bien quinze ans ! Je suis ressortissant polonais, donc un ressortissant de l’Union Européenne ! Gentiment agacé, je fais remarquer à mon interlocutrice que lors de la constitution de ma précédente société, dans les Yvelines, en région parisienne, ma carte de résident suffisait. Mon interlocutrice semble s’amuser : c’était à Paris ; là, nous sommes en Bretagne, Monsieur ! A croire qu’en réalité, nous ne vivons pas en République Française. En réalité, nous vivons dans un pays qui porte bien mal son nom. On devrait parler de République Fédérale Française. Avec un parlement distinct et des lois fort différentes.

Alors bon, je râle, mais en réalité, cette situation m’amuse. On a beau faire des lois, des décrets d’application, chaque fonctionnaire les interprète selon ses envies. Ainsi, selon le Greffe du Tribunal de Commerce de Rennes, apparemment, une carte de résident ne sert qu’à circuler, et ne permet pas de justifier de son identité, alors qu’un passeport sert à justifier de sa filiation, même si cette dernière en est absente, et qu’un extrait de naissance, lui, manifestement, permet de tout faire. Enfin tout, je ne sais pas. Créer une société, manifestement, oui… Pour ce qui est du passeport et de l’extrait de naissance exigés, oui, c’est bon, je les ai. Mais le monde serait tellement triste si l’on ne pouvait pas râler !