Official Formula 1 Racing (OF1R) est sorti le 30 juin 1999, il y a 16 ans jour pour jour, donc. Il s’agit du premier jeu vidéo professionnel au développement duquel j’ai participé. Séquence nostalgie !
Malgré les succès qu’ont été les aventures de Jérôme Lange dans Le Manoir de Mortevielle (1987), puis Maupiti Island (1990), ou encore de Vroom (1991), sur Atari ST et Amiga, parmi les titres les plus connus, Lankhor se heurte à un terrible échec commercial avec Black Sect (1993) qui manque de couler la société.
Lankhor se concentre alors autour d’une équipe réduite concentrée sur un projet de lunettes 3D pour ordinateurs PC. Il faut savoir que la 3D est loin d’être étrangère à Lankhor. En effet, la société doit sa création au jeu vidéo Wanderer développé par Jean-Luc Langlois et publié sur Sinclair QL et Atari ST dès 1987. Le milieu des années 1990, avec le débarquement des CD-ROM « interactifs », connaît la première période du hype pour la réalité virtuelle. Lankhor est en pourparlers avec Logitech pour une technologie de lunettes 3D que Lankhor avait développée. Malheureusement, le CES de printemps 1996 pullule de technologies concurrentes, et l’arrivée imminente de Windows 95 rend le marché fébrile, de même que l’arrivée des premières cartes dédiées à la 3D, ou encore celle des consoles 3D nouvelle génération. Logitech se retire alors des négociations, préférant voir le marcher évoluer. Aucun projet de réalité virtuelle de l’époque ne décollera.
Au même moment, Domark, devenue Eidos Interactive, avec qui Lankhor avait collaboré sur plusieurs adaptations de Vroom sur PC et consoles, signe le développement d’un nouveau jeu de Formule 1 (F1). En ce début de l’année 1996, l’équipe n’est alors constituée que de deux survivants : Daniel Macré (aka Dan McRae), l’auteur du Vroom original, sur Sinclair QL, et participant activement au développement de Vroom des versions Atari ST et Amiga ; et Jean-Luc Langlois, responsable notamment du moteur de synthèse vocale (ou TTS pour text-to-speech) des jeux d’aventure de Lankhor, ou encore du moteur graphique impressionnant de Vroom. Les deux associés forment alors rapidement une nouvelle équipe, en débauchant d’anciens collaborateurs partis dans d’autres studios de développement, ou bien encore en recrutant des nouveaux venus.
Début avril 1996, je m’apprête à partir en stage au Royaume-Uni quand sort le magazine Joystick n° 70 avec Duke Nukem en couverture. Toutefois, ce n’est pas le jeu devenu culte qui attire mon attention, mais une petite annonce publiée en fin de magazine : « Lankhor recherche : programmeurs jeux vidéo sur PC, PowerMac, Saturn, PlayStation et graphistes 3D. »
C’est au collège que je découvre Lankhor. Je programme depuis l’âge de dix ans, surtout des jeux vidéo. Je veux en faire mon métier. En achetant un jeu à la Fnac, le vendeur me tend un magazine de jeux vidéo « gratuit » où une publicité pour Vroom attire mon attention. (Le jeu sortira deux ans plus tard. Ah, Lankhor et les délais de développement : une longue histoire !) Mon rêve de gosse ? Programmer des jeux vidéo, oui. Mais au-delà de ça : rejoindre les meilleurs et plus particulièrement — le Saint Graal — Lankhor !
Alors voilà donc cette petite annonce. Dans deux mois, je suis diplômé. Bien sûr, comme une bonne moitié de mes camarades de promo, j’envisage la poursuite de mes études, et dépose même des dossiers d’inscription dans diverses filières informatiques. Cependant, mon objectif reste bel et bien de devenir programmeur de jeux vidéo, puis chef de projet, et les études n’étaient qu’un moyen d’y parvenir, plutôt qu’une fin en soi.
Mes amis sont sceptiques. Aucun d’entre nous n’a le niveau pour devenir programmeur de jeux vidéo, l’élite de l’élite, à nos yeux. Nos projets de fin d’études sont pourtant tous liés aux techniques de programmation de jeux vidéo. Nous nous abreuvons au quotidien de livres et de périodiques sur la programmation assembleur, la programmation C, la 3D. Nous programmons chaque jour des démos, des jeux. Mais nous n’avons tout simplement pas le niveau.
Et pourtant ! Le stage de deux mois arrive et cette annonce m’obsède. J’appelle donc au numéro indiqué, depuis l’enceinte de l’université. Une voix, que j’attribuerai plus tard à Guillaume Genty, mon futur voisin de bureau, me rassure : oui, les jeunes diplômés sont acceptés. Pour postuler ? Du classique : envoyer une lettre de motivation et un CV. La disponibilité ? Immédiate. Plein d’espoir, mais ne me faisant pas pour autant des illusions exacerbées, j’envoie ma candidature en appliquant avec zèle mes cours de techniques d’expression.
En effet, notre promotion vient de bénéficier d’une formation accélérée à la recherche d’emploi. En plus des cours théoriques et de travaux dirigés, une simulation d’entretien d’embauche en conditions réelles est organisée. De véritables professionnels de l’informatique jouent le rôle d’employeurs potentiels. Les étudiants viennent avec une offre d’emploi réelle, ainsi que de leur propre CV et lettre de motivation en vue d’un premier entretien d’embauche. Je viens alors avec une offre d’emploi de programmeur d’un studio de développement parisien dénichée dans la presse spécialisée. Au debriefing de l’ensemble de la promotion d’une centaine d’étudiants, les professionnels et les profs font le point : un quart seulement des candidats auraient obtenu un second entretien d’embauche. Et un seul aurait été embauché tout de suite : moi. De quoi se sentir en confiance !
Mais c’est l’heure de partir en stage, dans une université à proximité de Londres. Malgré mon 14/20 à l’oral d’anglais (LV1) au baccalauréat, et autant de moyenne de mes deux années d’université, je découvre rapidement ce qu’un niveau scolaire d’anglais signifie. J’apprends surtout à passer outre ma crainte de mal m’exprimer. Et de parler, tant bien que mal. Je profite de ce séjour britannique pour visiter le plus grand salon professionnel de jeux vidéo de l’époque, à l’ECTS (Electronic Consumer Trade Show) de Londres. Et puis, mon père m’écrit un email m’invitant à contacter Lankhor au plus vite, la société tentant de me joindre en France.
Une équipe de Lankhor vient en effet visiter l’équipe de F1 de Maclaren en Angleterre pour discuter des aspects techniques de la F1. À cette occasion, Lankhor désire s’entretenir avec moi en vue d’une éventuelle embauche. Je rencontre alors mon idole de gamin, Daniel, et mon futur collègue, Guillaume, dans… un bar de Londres, à proximité de Piccadilly Circus, deux bières pour mes interlocuteurs, un Coke pour moi. Une promesse d’embauche arrive dans la foulée et je débute dès la fin de mon stage, au premier juillet 1996 !
Il y a 16 ans jour pour jour sortait Official Formula 1 Racing. Trois ans plus tôt, presque jour pour jour, démarrait ma carrière dans l’industrie du jeu vidéo. Un grand merci à Lankhor, et plus particulièrement à Daniel et à Jean-Luc qui m’ont fait confiance !
Et aujourd’hui ? Encore chez Lankhor ?
Cristophe : Non, j’ai quitté Lankhor fin 1999/début 2000 pour lancer ma propre société de développement de jeux vidéo. Lankhor a quant à elle définitivement fermé fin 2002. Des anciens de Lankhor, dont l’un des fondateurs, ont créé Corélane (Lankhor en verlan !), mais la société, centrée sur les jeux mobiles, n’a pas décollé. Elle est actuellement en pause.