En 2000, j’avais créé Rivage Games, une SSII basée en France spécialisée dans la sous-traitance technique dans le domaine des applications multimédia et de jeux vidéo. Elle a été liquidée début 2007. Voici les quelques leçons que j’ai apprises de cet échec.
Sur le plan psychologique, une liquidation judiciaire est assez déstabilisante. C’est d’autant plus difficile à considérer quand on s’était investi sur le plan affectif de manière non négligeable. C’est aussi très difficile quand on a été contraint de cesser l’activité dans des circonstance difficiles. Dans mon cas, cela s’est passé sous la forme d’une liquidation judiciaire faisant suite à la liquidation du principal client de la société laissant un important impayé, malgré toutes les démarches de recouvrement à l’amiable, puis légales mises en oeuvre. D’ailleurs, considérant la situation dans son ensemble, le Tribunal de Commerce n’avait pas trouvé de fautes de gestion, et par conséquent n’a pas requis contre le gérant que j’étais d’interdiction de gérance. J’ai pu donc rebondir en me lançant dans une nouvelle activité. Cependant, l’absence de condamnation ne doit pas empêcher le gérant de se remettre en question. Aussi, je vous propose de partager avec vous les quelques leçons tirées de mon échec.
Tout d’abord, si cela n’a pas été le cas auparavant, un tel échec permet de considérer une entreprise comme une entité économique dont il faut s’occuper en tant que telle. En effet, ma principale erreur avait été de me consacrer essentiellement aux projets en cours, la plupart réalisés pour le compte d’un seul et même client. Une bonne chose aurait été de consacrer une partie du temps à réaliser des démarches commerciales, de diversifier les sources de revenus et de réaliser des prévisionnels qui m’auraient sans doute permis d’établir une stratégie d’entreprise digne de ce nom. J’aurais alors pu constater plus tôt que le secteur du développement de jeu vidéo en France était en crise et agir en conséquence.
En effet, alors que le chiffre d’affaires de vente au détail ne cesse de croître chaque année, après une période des plus fastes des plus irrationnelles dans le milieu des années 1990 (souvenez-vous du tapage médiatique autour de Lara Croft), le marché du développement de jeux vidéo tend à se rationaliser depuis la fin des années 1990. Cette rationalisation passe notamment par une baisse des coûts de production par une délocalisation massive vers les pays à faible coûts de main d’oeuvre (pays de l’Est de l’Europe, du Maghreb, ainsi que Chine et Vietnam essentiellement) ou pratiquant le dumping fiscal (subvention aux entreprises technologiques au Canada en général et au Québec en particulier, notamment pour ce qui est des embauches de salariés étrangers francophones diplômés). Une autre tendance a été une forte concentration, les éditeurs préférant le rachat de gros développeurs indépendants à fort potentiel (Eden Studios par Atari, Criterion Software par Electronic Arts, etc.), réduisant d’autant le marché de la sous-traitance.
En parallèle, pour alléger leurs frais de fonctionnement, certains éditeurs licenciaient en masse (Atari a ainsi licencié plusieurs milliers de salariés en France au début des années 2000). Certains de ces nouveaux chômeurs, à défaut de retrouver un emploi dans les rares sociétés de développement de jeux vidéo indépendantes survivantes, se sont orientés vers la création de sociétés de sous-traitance où, aidés par les subventions importantes accordées aux chômeurs créateurs d’entreprises (dont le maintient des indemnités chômage sur des périodes de un à deux ans, ou suppression de charges sociales), ils pratiquaient des tarifs ultra-bas pour remporter des marchés. Certains éditeurs, peu conscients des réalités économiques, ont alors signé des contrats que leurs prestataires ne pouvaient mener à terme dans de bonnes conditions, baissant la confiance des éditeurs dans la sous-traitance en France.
Enfin, et c’est une réalité à laquelle je m’étais confrontée directement, la politique internationale n’a pas aidé les développeurs de jeux vidéo français. En effet, suite aux attentats du 11 septembre 2001, et la brouille franco-américaine sur l’envahissement de l’Irak par les Etats-Unis, négocier avec les sociétés américaines était devenu très délicat. Mon client américain de l’époque m’avait alors expliqué qu’il évitait d’avouer à ses partenaires qu’il travaillait avec notre société française. De toutes façons, cette collaboration ne pouvait continuer bien longtemps. En effet, en moins de deux ans de collaboration, la politique de dévaluation monétaire pratiquée par les Etats-Unis nous avait valu une baisse de 30 % de notre chiffre d’affaires. Nous ne pouvions continuer notre collaboration à moins de travailler à pertes.
Les leçons apprises ont été fort nombreuses :
- continuer en permanence les démarches marketing et commerciales, même lorsque le besoin ne se fait pas ressentir : on négocie toujours mieux quand on n’a pas besoin d’obtenir un marché ;
- diversifier les sources de revenus : outre de diversifier les clients (faire en sorte qu’un même client ne dépasse jamais plus de 30 % du chiffre d’affaires au cours d’une année pour éviter une dépendance trop forte vis-à-vis de ce client) et leurs origines géo-politiques (ne pas être dépendant de clients issus d’un même pays notamment pour éviter les fluctuations monétaires ou autres problèmes liés à la politique nationale ou internationale), varier les marchés (afin d’élargir ses possibilités de développement et ne pas dépendre du succès ou de l’échec d’un marché unique) permet de rendre son activité plus viable économiquement ;
- veiller à maintenir la facturation des clients à jour, et réagir rapidement en cas de retard de paiement : un client qui considère comme normal de payer en retard est un client qui paiera de plus en plus tard à l’avenir, ce qui engendre des coûts financiers non négligeables, augmentant inutilement et parfois dangereusement ses besoins en fonds de roulement, et peut rendre l’entreprise dangereusement fragile, notamment lorsque le client n’est plus capable d’honorer ses dettes alors qu’aucune procédure de recouvrement n’avait été initiée précédemment ;
- suivre la concurrence, nationale et internationale, et mettre en évidence ses points forts (dont la proximité dans le cadre d’une concurrence internationale) tout en minimisant l’impact des points faibles (comme le coût de la main d’oeuvre qui peut être compensé par un accroissement de la productivité elle même liée à des investissements ou de la recherche et développement) ;
- s’informer des subventions, que ce soit pour en bénéficier soi-même ou dont bénéficient les concurrents : d’éventuelles subventions ou aides publiques ou locales permettent d’améliorer la compétitivité de l’entreprise, notamment par l’octroi de prêts préférentiels, d’exonération de charges sociales, ou de crédits d’impôt, permettant à l’entreprise de réduire ses frais financiers et de fonctionnement, ou encore de financer ses investissements ou sa recherche et développement dans le but d’améliorer sa productivité ;
- avoir et mettre à jour sa stratégie d’entreprise, basée sur une approche rationnelle des marchés sur lesquels elle opère, prenant pour base son propre historique, des études de marché, ainsi que des prévisionnels réguliers : c’est un passage obligé si l’on veut garder son entreprise à l’abri des plus évidentes erreurs de direction, permettant de donner une vision claire de la direction empruntée par l’entreprise sur les une à trois années à venir.
Ces quelques points ne sont certainement pas suffisants seuls pour mener à bien un projet d’entreprise. Néanmoins, ayant été, du fait de ma propre expérience, confronté à des lacunes dans ces domaines qui ont mené mon ancienne entreprise à la cession de son activité, je suis désormais plus sensible sur ces quelques aspects de la vie d’entreprise. Cela ne doit pas faire oublier au chef d’entreprise que la viabilité d’une entreprise repose surtout sur la livraison de biens ou la réalisation de services qui satisfont ses clients. Se consacrer exclusivement aux tâches de production n’est cependant pas suffisant, et ce, quelle que soit la qualité fournie. D’où l’intérêt de s’intéresser aussi aux autres aspects de la gestion d’une entreprise.
Merci pour cet excellent billet très instructif. Et bon courage sur votre petit nuage.
Merci pour ces conseils, je vais y réfléchir très sérieusement pour créer mon entreprise!
mon ami vient de liquider sa société.. (bureautique maintenance)
je te rejoins dans ton anaylyse, l’aspect commercial marketing est primordial, le tort qu’a eu mon ami est d’être un excellent technicien mais pas forcément bon commercial.. j’assiste ds le domaine de mon travail à la véritable guerilla a laquelle se livre les grosses boites pour obtenir les marchés publics (copieurs) c’est une horreur, on dirait que le technique a disparu au profit des coups de pubs des grosses boites, plus d’éthique, plus d’aspect humain, les ptites boites sont à l’article de la mort…
courage a ceux qui se lancent, en ce qui nous concerne, lorsque l’état aura tout pompé,(1000 euros rien que pour l’enregistrement de la liquidation aux greffe) il ne nous restera (par chance car pas de dettes), que nos yeux pour pleurer…
Bon courage à vous deux, béa. Je sais d’expérience que la liquidation d’une société est plus qu’une démarche administrative ou juridique et il est primordial d’avoir l’appui de ses proches pour traverser cette épreuve qui est souvent mal vécue. Cependant, avec du temps, ton ami saura sans doute prendre encore plus de recul et en plus d’identifier les problèmes du marché et ses propres défaillances, il saura sans nul doute trouver des solutions, et peut-être même un marché plus facile.
J’avoue avoir moi aussi des difficultés dans la relation client. Cependant, cette relation client est essentielle. Néanmoins, j’essaye de m’organiser pour que mes défauts n’aient pas d’impact critique sur mon activité professionnelle. Développer son réseau professionnel de confiance est l’un des points sur lesquels je me repose, et un autre aspect vise à limiter les prestations ayant plus de valeur purement commerciale que d’autre chose.
Tu as du courage Martin et je te tire mon chapeau pour cette expérience, de plus tu as su rebondir et aller de l’avant, j’espere que te perseverance finira par payer.. ..grassement :)