L’autre jour, un commercial d’une multinationale du X (des bureaux dans au moins quatre pays d’Europe, une quarantaine de collaborateurs, une dizaine d’années d’existence) me propose de rejoindre leur réseau de webmasters affiliés (comprenez : des webmasters rémunérés aux ventes réalisées auprès des visiteurs envoyés sur les sites de la société) afin de monétiser l’audience de mon réseau de sites. Il met en avant un site web en particulier, un service de messagerie instantanée pour adultes.
Mon correspondant a l’air fort sympathique, mais une rapide étude de sa proposition me met très mal à l’aise :
[Son prénom],
Le site dont vous assurez la promotion :
[URL du site]
est fort joli et attrayant.
Une chose est sûre, c’est que le web designer du site maîtrise son métier. Le site est clair et propre, attirant et à destination d’un public jeune : ses couleurs sont manifestement inspirées de flickr, rose et bleu, représentatives des deux sexes, la capture d’écran du logiciel de messagerie inspirée de Windows Live Messenger, les photos des membres d’un site de rencontres, comme le montre la capture du site ci-après :
Bien sûr, on pourrait s’étonner que le site insiste trois fois sur le « téléchargement gratuit » du logiciel et que ce qui semble être une capture d’écran du logiciel de messagerie ne présente aucune publicité. Des logiciels gratuits sans publicité, mais qui rémunèrent les affiliés qui lui envoient des membres, c’est pour le moins étonnant suspect !
Il y a cependant bien d’autres choses qui me gênent sur ce site, comme je le fais remarquer à correspondant :
Néanmoins, permettez-moi de vous faire remarquer plusieurs points qui paraissent pour le moins suspects qui, si j’étais un client potentiel de ce service, je ne deviendrais jamais client. En effet, je note que la seule page du site n’indique aucune information telle que :
- l’éditeur du site ;
- les CGU ;
- la tarification ;
- etc.
Par ailleurs, le site ne m’inspire aucune confiance, les photos étant manifestement celles de modèles puisées dans une base de données professionnelle, contrairement à ce que laisse entendre cette page (« ils sont connectés », « ils viennent de s’inscrire »), laissant deviner qu’il s’agit ni plus ni moins d’une publicité mensongère.
Pour être de mauvaise foi, on pourrait dire que l’on vante ici le téléchargement gratuit. Néanmoins, manifestement, les photos présentées ici comme celle des membres, soit connectés, soit fraîchement inscrits, ne se contentent pas de travestir la réalité, mais visent bel et bien à induire en erreur l’utilisateur à venir du logiciel et, probablement bien malgré lui, futur client. Cela sent l’arnaque à plein nez. Une vérification plus approfondie s’impose.
Aussi, j’expose à mon correspondant les résultats de ma très rapide enquête sur le service qu’il tente de me faire promouvoir sur mon site :
De plus :
- le site est présenté en français (logique) ;
- les moteurs de recherche montrent des versions « cachées » [(au sens « présentes dans le cache »)] de votre site en français uniquement (logique) ;
- le nom de domaine est enregistré via un registrar étatsunien (le prix, sans doute) ;
- le propriétaire du nom de domaine est la société [nom de la société] (logique) ;
- la société [nom de la société] se situerait sur les au Royaume Uni (étonnant) ;
- l’adresse de la société [nom de la société] est une boîte postale (suspect) ;
- les serveurs de noms de domaines sont accessible sur un nom de domaine français (étonnant).
Certes, chaque point énuméré ci-dessus peut aisément s’expliquer. Cependant, la somme des incohérences ne laisse aucun doute : la véritable société se cachant (au sens « devenir invisible ») derrière ce site fait tout son possible pour que ses futurs clients n’arrivent pas à l’identifier, ni à la joindre, voire soient découragés par une potentielle procédure judiciaire lors d’un hypothétique différend.
Par ailleurs :
- vous signez [votre email de prospection] de votre seul prénom (suspect : auriez-vous honte de ce que vous faites pour vivre ?) ;
- vous affirmez travailler pour [nom de société] Belgique (soit) ;
- votre numéro de téléphone correspond à un numéro belge (soit) ;
- votre email me renvoie sur [nom de société] France (suspect : [NomSociete.be] était-il trop cher ?) ;
- les informations postales figurant sur le site [NomSociete.fr] me renvoient sur une adresse belge (étonnant) ;
- les informations de contact figurant sur le WHOIS de [NomSociete.fr] me renvoient sur une adresse française (logique) ;
- les informations de contact figurant sur le WHOIS de [NomSociete.fr] me renvoient tantôt sur [sigle indéterminé], tantôt sur [nom société] (étonnant).
Comme vous pouvez le voir, même en identifiant la société à l’origine de ce service (à vrai dire, je n’ai pas réussi à la trouver au Registre des Sociétés), il est pour ainsi dire impossible de trouver un quelconque responsable en cas de litige.
Face à une telle volonté d’opacité, la signature de mon message est somme toute logique :
Franchement, avec tous ces éléments étonnants, voire suspects, si vous étiez à ma place, comment réagiriez-vous ?
Cordialement,
[Mon pseudo]PS : Permettez que je conserve un tant soit peu mon anonymat derrière un vague pseudo, ce premier contact ne m’inspirant aucune confiance.
Nos échanges suivants sont parfaitement résumés par mon correspondant :
Si je comprends bien, votre ligne de conduite est les respect « total » de votre visiteur.
Dans ce cas, nous avons [un autre service] : Un produit certes « cher » mais qui n’a pas de « batons » comme la CB 60 minutes qui est j’avoue pas la meilleur technique pour des visiteurs fidèles (Vous pourriez malgré tout désactiver cette offre pour proposer un abonnement direct mensuel).
Si vous ne comprenez pas bien la réponse de mon correspondant, il faut savoir que sa société propose divers services payants dans le domaine des loisirs pour adultes (ici, rien de choquant), les plus rentables étant des services facturés de l’heure (avec une rémunération des affiliés pouvant aller jusqu’à 60 € de l’heure !) et réglés :
- soit par carte bancaire (mais alors, cela pourrait mettre la puce à l’oreille à tout utilisateur d’un logiciel se prétendant gratuit…) ;
- soit par numérotation de numéros surtaxés (sans que l’utilisateur, qui ne lit jamais les CGU présentes lors de l’installation des logiciels prend pour une simple connection à Internet s’il accède habituellement à Internet via un modem classique) ;
- soit prélevés sur la facture du FAI (et dans ce cas, compte tenu de la relative rareté de ce mode de paiement, on peut ne pas se rendre compte que l’on accède à un service payant).
D’ailleurs, je ne suis pas le seul à trouver les agissements de cette société pour le moins douteux :
- une recherche spécifique au site de cette société me fait afficher un message alarmiste de la part de Google, me prévenant de prendre mes jambes à mon cou :
- un message plus clair apparaît sur le site Stop Badware :
où l’on peut lire notamment :
Content of this site is bundled with several components that are reported to behave as a dialer. The installation of these components is not disclosed to the user. (Deceptive installation)
On comprend donc pourquoi cette société a un carnet de 4.000 sites pour adultes distincts : échapper à la vigilance des moteurs de recherche, des logiciels de sécurité informatique, ainsi que, très probablement, compte tenu du soin apporté à la dissimulation de son identité, aux autorités policières et judiciaires…
Il est aussi évident qu’à la vue de ces découvertes, je ne puisse envisager aucune collaboration avec cet acteur du X aux mœurs pour le moins douteuses, si vous me permettez de m’exprimer ainsi. Cela étant, combien de webmasters moins soucieux de leur audience, ou du moins moins regardants quant à leurs partenaires, rejoindront ce programme d’affiliation et aideront cette organisation pour le moins douteuse de s’enrichir sur le dos d’Internautes crédules, insouciants, voire mineurs qui auront eu le malheur de leur faire confiance ? Internautes qui, probablement par honte, abandonneront leurs démarches, forcément fastidieuses, visant à récupérer leur argent, prélevé à leur insu, compte tenu de la nébuleuse opaque de sociétés internationales dont le moyen de vivre est d’induire en erreur ses propres clients ?
Hum… Mais que fait la police ?
C’est en effet un produit offrant peu de valeur ajoutée aux visiteurs. Ce ne sont pas des vrais contacts comme ça le laisse entendre mais c’est modéré par un équipe professionelle : des animatrices (entendre des hommes qui se font passer pour des femmes). On est très solicité après avoir téléchargé gratuitement le logiciel pour s’abonner (60 Euros si je ne m’abuse) et ensuite c’est le vide sidéral. Il est clair que les animatrices se concentre à faire passer les prospects en version payante mais pas à les fidéliser ensuite.
Reste à dire, « le nom de domaine est enregistré via un registrar étatsunien » … A quoi sert d’acheter un nom de domaine à 40 euros quand il en vaut que 8 euros ?
Charme, j’ignorais que ce genre de sites allait jusqu’à payer des « hôtesses » pour créer un faux public. J’ignore si c’est le cas de la messagerie instantanée prétenduement gratuite (je me demande bien à quoi cela sert de télécharger un logiciel gratuitement alors qu’on ne peut l’utiliser qu’à titre payant, sinon justement à tromper délibérément les futurs utilisateurs quant à l’offre proposée), mais compte tenu de l’approche du client, qui s’apparente davantage à de l’escroquerie qu’à du marketing, je ne serais guère étonné que des pratiques similaires y aient court. Cela étant, je n’essaierai pas d’installer un logiciel émanant d’une société connue pour distribuer des logiciels malveillants pour vérifier leur fonctionnement dans le détail.
Quand tu fais payer 60 € de l’heure un service à l’insu de tes clients, qui sont convaincus dur comme fer que celui-ci est gratuit, il est clair que cela n’aide pas, en effet, à fidéliser la clientèle. Je devine que la nébuleuse de sociétés internationales mise en place par cette équipe vise par ailleurs à décourager les clients mécontents (à savoir… tous ?) à réclamer le remboursement des sommes manifestement indûement prélevées, ou du moins à régler leurs ligites en justice. Pour rembourser quelques dizaines d’euros, ils risquent d’y consacrer des années en procédures s’étalant peut-être même sur des années…
laca, il n’y a aucun mal à rechercher un prestataire de services, tel un registrar, le moins cher possible, d’autant qu’en matière de noms de domaines, ce service est sensiblement équivalent d’un registrar à l’autre. Au contraire, cela est même signe de bon sens !
D’un autre côté, quand on est une société employant plusieurs dizaines de salariés, payer un nom de domaine 4 ou 40 € n’est plus une économie pertinente quand on dépense dix à cent fois plus pour créer une société écran à l’étranger pour opérer à l’abri des regards indiscrets. Par ailleurs, la société opérant quelque 4.000 sites web, soit quelque 100 sites par salarié, la plupart prétenduement faits par des amateurs (ou plutôt, devrais-je dire, des « amatrices »), ce qui n’est manifestement pas le cas, le choix du prestataire le moins cher en matière d’enregistrement du nom de domaine vise essentiellement à rentabiliser sa stratégie de communication flirtant sur la dissimulation, le cyber-squatting et le spamdexing…
Bravo pour ce superbe article concernant les dérives de certains acteurs du X, ce genre de programmes d’affiliation pulullent de plus en plus sur la toile.
Je m’horrifie de la réponse de ton interlocuteur (Si je comprends bien, votre ligne de conduite est les respect “total” de votre visiteur.).
N’existe t’il donc pas d’autorités compétentes pouvant mettre en demeure les sociétés à l’origine de la création de tels sites et applications?
Si vous ne comprenez pas bien la réponse de mon correspondant, il faut savoir que sa société propose divers services payants dans le domaine des loisirs pour adultes (ici, rien de choquant), les plus rentables étant des services facturés de l’heure (avec une rémunération des affiliés pouvant aller jusqu’à 60 € de l’heure !)
La tu n’as rien compris loool
la CB60 minutes est une offre qui permet au visiteur d’avoir tout le contenu GRATUITEMENT pendant 60 minutes et si le visiteur ne se desabonne pas a la suite de ces 60 minutes , il s’en suit un abonnement automatique de 60 euros pour une durée d’1 mois ou meme 2 mois
( on est bien loin des 60 euros pour 60 minutes ;-) )
Visiblement , le monde du X et toi, ca fait 2 , et tu viens casser du sucre sur le dos d’un buisness que ne connais pas …. c’est bien dommage car ton blog est vraiment interessant mais des que tu abordes le sujet des sites pour adulte, tu dis pas mal de conneries
Bonjour, j’aime bien ton article mais je me pose une question… Tu es légalement obligé de flouter le site de [censuré] ou c’est juste un choix ? Si je fais un vrai site de rencontre honnête par exemple, quelque chose m’empêche de dénoncer les sites frauduleux comme ceux là ? Et même si c’était illégal, tu crois qu’ils iraient entamer une procédure pour me le faire payer avec le mac qu’ils se donnent pour se cacher ?
En passant, je ne pense pas qu’ils dépensent beaucoup pour faire une société écran à l’étranger comme tu dis, il s’agit souvent d’individus étrangers déjà dans leur pays avec soit un contact en Belgique, soit carrément un membre de la famille en Belgique pour s’occuper des formalités locales en Belgique…
Salutations
@Cumoud : Pour autant que je sache (je ne suis pas juriste, juste sensibilisé au sujet), le présent article pourrait être publié sans anonymiser le service en question. Cependant, je ne cherche pas à me batailler en justice, et assumer les frais qui vont avec, pour le simple plaisir de maintenir une page web en ligne qui dénonce une pratique pour le moins douteuse. D’ailleurs, ce ne sont pas tant les pratiques de ce service en particulier que cet article présente, mais des pratiques couramment employées dans le domaine de services pour adultes.
Tu sembles croire que ce service se cache. Ce n’est pas le cas. D’ailleurs, je connais peu de services commerciaux qui misent sur la confidentialité comme stratégie marketing. S’il est difficile pour un consommateur lambda de les affronter sur le plan légal, l’entreprise éditrice ce service a déjà combattu en justice l’un de ses anciens partenaires devenu concurrent. Et pour cause : ce service est leur gagne pain, un gagne pain particulièrement profitable, et ils ont tout à perdre à voir des concurrents débarquer, ou encore des webmasters toucher à leur réputation. Pour ce qui est du montage international du service, il s’agit manifestement d’une volonté délibérée de rendre toute poursuite difficile, et non d’une bidouille pratique telle que tu décris.
Concernant d’éventuelles poursuites judiciaires, tout Internaute, et en particulier tout éditeur de site ou service web, y compris particulier, doit s’y attendre tôt ou tard. J’ai déjà eu à traiter avec le service juridique d’une entreprise cotée en bourse à la suite d’un article publié sur un autre de mes sites personnels. L’article que l’entreprise a souhaité me voir retirer est toujours en ligne, en l’état. Il faut dire qu’à la base, même si l’entreprise était nommée, l’article était parfaitement irréprochable sur le plan légal et il continue toujours à l’être. Il en a surtout résulté un plus grand intérêt pour l’entreprise de ma part, avec pour conséquence logique de nouveaux articles. Maintenant, si une entreprise ou une autre veut me faire un procès, qu’y puis-je ? Je me défendrai. S’il devait s’avérer que de telles poursuites étaient abusives, j’agirai à mon tour en conséquence.
Enfin, si tu devais mettre en place un service de rencontres, je te recommande vivement de ne pas dénigrer les sites concurrents, à moins que tu veuilles faire face à des poursuites légales sur la base de diffamation, dénigrement ou concurrence déloyale. Pour ce qui est de ta stratégie marketing, je t’encourage plutôt à mettre l’accent sur tes qualités, plutôt que sur les défauts des autres. Et si vraiment cela te démange de voir des concurrents pratiquer les pires débordements, exploiter les plus condamnables des méthodes, ou encore abuser de la confiance de leurs clients, constitue un dossier solide et envoie-le aux services de lutte anti-fraude de l’État ou bien encore à des organes de presse, mieux médiatisés, mais surtout beaucoup mieux protégés, sur le plan légal, que des individus isolés, ou bien même des entreprises.